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Jeu dangereux

En Russie, condamné pour avoir chassé le Pokémon

Un blogueur russe a écopé d'une peine de prison avec sursis pour avoir joué à «Pokémon Go» dans une église de Ekaterinbourg. Une condamnation symptomatique du climat idéologique actuel dans le pays.
par Veronika Dorman
publié le 11 mai 2017 à 16h46

Vous souvenez-vous l'été dernier de ces hordes de zombies déambulant dans les rues et les parcs les yeux rivés sur leurs écrans de téléphone ? Le phénomène Pokémon Go, la chasse aux petits monstres dans une réalité parallèle grâce à une application sur smartphone, a été aussi massif qu'éphémère en France. Mais en Russie, où l'engouement général a lui aussi été fugace, l'histoire des Pokémon est devenue tout une affaire. Le blogueur Rouslan Sokolovksi, 22 ans, vient de passer huit mois en détention après avoir publié une vidéo, en août dernier, dans laquelle on le voit chasser les créatures virtuelles dans la cathédrale de Ekaterinbourg, érigée en mémoire et sur les lieux de l'exécution du dernier tsar russe Nicolas II et de sa famille. Et regretter de ne pas avoir réussi à attraper «le plus rare des Pokémon : Jésus». Le parquet exigeait trois ans et demi de prison ferme pour «incitation à la haine et insulte à l'égard des sentiments religieux des croyants». Ce jeudi, à l'issue d'une parodie de procès, Sokolovski a été condamné à trois ans et demi avec sursis. Pour, dit entre autres l'acte d'accusation, «avoir comparé Jésus à un mort-zombie» (sic), «investi Jésus de qualités du Pokémon, non seulement personnage de jeu vidéo et de dessin animé, mais aussi représentant du bestiaire mythologique japonais» (re-sic).

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Tartufe et réactionnaire

L'Eglise russe et autres piliers de cette nouvelle idéologie officielle, aussi tartufe que réactionnaire, avaient condamné le jeu de réalité augmentée dès son arrivée en Russie. Le jeune homme, qui se décrit comme un «athée, cosmopolite et libertarien», et dont le compte YouTube, critique à l'égard de la religion, est suivi par 270 000 abonnés, avait décidé de vérifier si les télés disaient vrai: chasser le Pokémon dans une église peut donner suite à des poursuites criminelles. L'expérience fut un succès et Sokolovski a bien été arrêté et placé en détention provisoire, tout en faisant l'objet d'une campagne médiatique le présentant comme psychologiquement défaillant (argument souvent avancé en Russie, comme s'il fallait être fou pour douter de l'existence de Dieu). Devant le juge, ne reconnaissant pas sa culpabilité, le blogueur a néanmoins demandé pardon à ceux qu'il aurait pu offenser avec ses vidéos, tout en précisant «ne pas croire en la nécessité de la religion, sans éprouver d'animosité à l'égard des croyants, mais simplement de l'indifférence».

«Le méchant Christ»

L'article 148 de l'«insulte à l'égard du sentiment religieux des croyants», a été introduit dans le code pénal russe en 2013, en réaction à l'affaire des Pussy Riot, qui elles, avaient été condamnées pour «vandalisme motivé par la haine religieuse» en 2012. La statistique exacte n'est pas connue, mais plusieurs condamnations pour ce motif ont été prononcées ces dernières années : à Orenbourg, un ancien enseignant a dû s'acquitter d'une amende de 560 euros pour un article intitulé «le méchant Christ»; deux habitants de Kirov ont écopé de 230 heures de travaux d'intérêt général pour avoir accroché un épouvantail sur un monument aux morts en forme de croix; un lutteur daghestanais a été condamné pour avoir uriné sur une statue de Bouddha… Mais pour Alexandre Verkhovski, de l'ONG Sova, qui observe les mouvements extrémistes, il n'est jamais vraiment question de blasphème. «Nos analyses montrent que dans la plupart des cas, l'article 148 est utilisé à tort, tiré par les cheveux, a-t-il expliqué au site d'information Meduza. Quelles ont pu par exemple être les motivations de ceux qui ont accroché l'épouvantail sur la croix ? Aucunes ! Ce sont des hooligans, voilà tout.» 

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